DESERT
Il faut imaginer les déserts, multiformes, qui s’opposent, en Namibie, aux brouillards atlantiques et au courant froid du Benguela. Les massifs granitiques du Damaraland. Les sables rouges du Namib et du Kalahari. Les sols de sel et d’argile de Sossuvlei. Les roches de grès de Rehoboth. Des kilomètres de pistes traversent ces déserts dont naissent parfois des villes, ultimes tentatives d’habiter l’inhabitable – Omaruru et Khorixas, Sesriem et Mariental - de donner un corps à ce qui n’est que poussière et sable. Les troupeaux d’oryx dans le poudroiement de l’aube. Les arbres transformés en pierre des forêts pétrifiées. Une mangouste qui se confond avec le sable. Des pneus abandonnés au bord des pistes. Le souffle du vent qui dissipe, sous nos roues, des serpentins de sable filant. Ces routes qui nous éloignent parfois si fort de toute trace de vie. Ces routes qui ne sont pas finies, comme si l’homme avait abandonné face au désert. Ces routes infinies, qui ne sont que les traces de ceux, si rares, qui s’y aventurent. Et nous ne voyons rien d’autre que, de loin en loin, de fines tornades de sable dont la spirale s’élève vers le ciel, et, aux abords de Khorixas, les Damara qui dansent au bord de la route, peuple du désert, hommes et femmes des sables depuis des millénaires.
DUNE
Pieds nus dans le sable chaud qui donne à nos peaux l’éclat doré du désert, nous faisons corps avec la dune dont le mouvement nous entraîne comme une rivière. Un pas après l’autre le long de l’arête qui délimite sa part d’ombre de sa part de lumière, nous parvenons au sommet, le souffle court, pris de vertige à contempler les dunes vierges qui se dévoilent dans leur multitude, jusqu’à perte de vue, dont les versants n’ont jamais été foulés par l’homme. C’est le désert du Namib, le plus vieux désert du monde, qui étend ses marées de sable rouge au-delà de l’horizon. C’est le gecko translucide qui disparaît dans le sable, les scarabées noirs qui filent sous nos pieds. C’est la marche des dunes qui progressent, poussées par les vents d’est, vers l’océan. Silence. Le souffle du vent dissipe la lourde chaleur de la région la plus aride de la Terre. La descente se fait en courant, sur le flanc vertical de la dune, dans l’apesanteur d’un sol qui se dérobe sous nos pieds. Le temps d’écouter la dune chanter. Le temps de croire à l’envol. Le temps d’apercevoir, peut-être, une vie nouvelle qui se dessine dans les traces du sable.
NUIT
Assis au bord des lieux où nous passons les nuits – toile de tente ou hutte au toit de chaume, petites maisons de pierre isolées dans la savane – c’est le sentiment du désert qui nous saisit : aux aguets, les yeux ouverts sur toutes les étoiles de la nuit, l’intranquilité se mêle à l’intense sérénité, à la paix invincible de la solitude, du refuge au bout du monde. La nuit du désert jamais n’est silence, rompue des chants nocturnes d’animaux inconnus, qui peuplent l’obscurité de leur présence invisible. Au-dessus des arbres fantomatiques, c’est le firmament d’Afrique aux constellations mystérieuses. C’est la lune de sable qui se lève avec la nuit, rougeoyante comme un soleil, immense sur l’horizon. C’est une comète, feu cosmique, qui traverse le ciel et lui imprime son sillon incandescent. C’est la Voie Lactée, l’infini d’une galaxie insondable, vaste lumière dans le noir de la nuit.
EAU
Des rivières taries, encore tracées sur les cartes et pourtant disparues, forment les contours imaginaires d’un pays où la pluie ne vient plus. L’embouchure sans eau du Swakop. Le canyon desséché du Kuiseb. Le lit asséché de l’Ugab et du Tsauchab. Un pays de survie, où chaque comportement est imprimé de ce manque d’eau, de cette quête insatiable. Un pays où l’on s’échange les dernières nouvelles des lions et des éléphants qui arpentent les rivières vides. Où les forêts d’acacias prennent racine dans le sable. Où les animaux se mettent en marche vers l’océan, pour chercher l’eau aux rares endroits où elle se trouve peut-être encore, dans les puits des hommes et les rivières souterraines, dans la sève des succulentes et les brouillards du Namib.
QUÊTE
Et il faudrait dire encore tout ce qui est beauté, au pays des lunes de sable et des déserts rouges. Les levers de soleil sur les savanes d’Erindi et les couleurs vives des ginkgos dans le bleu pastel d’Etosha. L’étreinte des éléphants qui se baignent au crépuscule. La course folle des antilopes dans le sable rouge. Le sommeil d'un léopard à l'ombre d'un arbre. La silhouette des rhinocéros noirs dans l’éclat poudré du contrejour. Les yeux d’or des jeunes guépards qui dansent en jouant, la grâce de leurs voltiges, la légèreté de leurs mouvements. Il y a, dans le voyage, dans l’appel des lointains, le désir rare et ardent de saisir tout ce qui est inconnu, d’apercevoir tout ce qui insaisissable. Apprendre à lire les empreintes et à guetter les ombres à travers les épines d’acacias. Être mus par la quête, par l’espoir de l’impossible. Et c’est ce désir, et c’est cette quête, qui nous maintiennent dans le rêve de ces déserts, longtemps même après notre retour, parce qu’ils résistent encore, dans leur mystère, à se laisser apprivoiser, à jamais hors d’atteinte, à jamais éternels.