GLACIERS
C'est d'abord la poétique de ces noms de glaciers, noms de géants issus de contes que la Nature aurait conçus pour nous : Hvannadalshnjùkur, Skaftafelljoküll, Fjallsarlon, Joküllsarlon… De ces géants, nous ne voyons que les pieds, solidement ancrés au bord des routes, au bord des lacs, inexpugnables. Ils sont les sentinelles de l'île de glace, et règnent chacun sur une région du territoire. Ils contiennent tous les secrets du monde dans les profondeurs de leurs crevasses, qui vont peut-être jusqu'au cœur de la Terre même. A les écouter, on les entendrait presque chanter cette mélodie connue d'eux seuls et qui dit la neige et les étoiles, l'eau et les cendres, tout ce qui les entoure et leur donne leur couleur bleue. Bleue comme le ciel et l'océan. Bleue comme l'hiver et le sommeil des volcans.
ROUTES
C'est l'unique territoire des hommes, l'unique sol qui est sûr : les routes d'Islande serpentent autour de l'île, mais l'île ne se laisse pas enlacer, elle résiste aux chemins d'asphalte et y oppose le blanc de ses neiges, le rouge et le noir de ses terres volcaniques. Parfois, rien ne peut être vu du paysage qui s'efface entièrement dans la brume, sinon les volutes de neige sous nos roues, déplacées par le vent, comme si des milliers d'elfes traversaient devant nous. Et quand nous sortons du brouillard, nous avons l’impression de retrouver le monde. La Nature brute, sans merci. Des champs de glace et de lave. Des volcans aux contours déchirés. Des ballets d'oiseaux très haut dans le ciel. La route, droit devant nous, jusqu'au bout du monde.
VENTS
Les vents d'Islande, parce qu'ils sont si forts, semblent bien être une multitude, tous rassemblés ici au carrefour du monde, où ils apportent un peu du froid glacial du Baffin, du Groenland et de Sibérie. Des vents à ne pas tenir debout, à faire voler des éclats de basalte, des vents à ouvrir des fenêtres fermées, à faire trembler les bâtiments, des vents à condamner les hommes à trouver un abri en attendant que la tempête ne passe. Des vents à faire fumer les montagnes de poudreuse, bouillonner les eaux violentes de Skogafoss, se lever les lames sur la plage de Reynisfjara. C'est à Vik, sûrement, le petit village qui vit sous la menace imminente du volcan Katla, que les vents se donnent rendez-vous de préférence. Vik, où les vents retournent les portières de voitures et où les téléphones se perdent dans la marée montante. Et avec eux, le lien ténu qui nous retenait encore au monde.
CRÉPUSCULES
Au crépuscule, quand le monde devient entièrement bleu, l'île change de visage. Le vent tombe, le silence vient, et nous écoutons son chant face à ces paysages plutoniens qui s'étendent soudain sous nos yeux. Face à ces couleurs et ces reliefs qui ne peuvent appartenir à notre Terre. Qui excèdent tout ce qui nous est connu. Et nous voilà transportés sur une autre Planète, si éloignée de son soleil que la nuit y est infinie et que la vie n'existe pas dans ses glaciers. Il y a, en Islande, cette désorientation profonde de se sentir enlevé à notre monde natal pour être jeté dans un autre, un monde dont on n'aurait jamais pu imaginer l'existence et qui nous dicte à présent ses lois.
ICEBERGS
Un verre s’est brisé sur la plage noire. Polis par l’océan, ses fragments se transforment en diamants, en trésors, à moins qu’ils ne soient plutôt des larmes, gelées sitôt versées. Des larmes de cristal. Elles sont issues du grand glacier, qui pleure la venue des climats plus chauds, de l’éternel été du monde. Échouée sous le ciel du grand Nord, la solitude des icebergs s’accompagne d’un croissant de lune. Le soleil qui s’éteint leur accorde la grâce d’une nuit supplémentaire, qui sent le froid, la mer et les étoiles.
VIES
Vivre en Islande, c’est : apprendre à tenir debout malgré les vents. Ne plus sentir l’odeur de soufre qui vient des volcans. Retrouver son chemin dans le brouillard qui enveloppe la taïga. Savoir marcher à petits pas dans la poudreuse. Boire l’eau pure des grands glaciers. Guetter les troupeaux de rennes sauvages au bord des routes. Affronter des nuits qui sont plus longues que les jours. Vivre en Islande, c’est accepter de vivre avec du feu sous les pieds. Attendre le réveil des dragons, qui sommeillent dans leurs chambres de magma, et qui peuvent, à tout moment, ouvrir un œil reptile sous leurs écailles de basalte. Attendre l’envol des dragons, et se tenir prêt.