MARRAKECH, JOUR 1 ET 2
Au cœur de la nuit, c’est la pleine lune à Marrakech, qui s’accroche aux palmiers et nimbe les trottoirs de lumière. Le froid de la nuit ne va pas jusqu’à nos cœurs, qui s’enivrent sous les oliviers à la lumière des bougies.
Marrakech. Les oiseaux invisibles enchantent notre petit-déjeuner. Nous imaginons leurs couleurs, chatoyantes, exotiques. Ces oiseaux qui ne chantent pas chez nous. Ces oiseaux qui n’existent qu’ici, au nord de l’Afrique, juste avant le Sahara. Réveil à la saveur exquise des oranges pressées, du thé à la menthe et des Msemmen.
Soleil éternel de Marrakech. Le bleu du jardin de Majorelle, une tiédeur de printemps au milieu de l’hiver. Les pyramides d’épices aux senteurs de safran, de cumin et de girofle. Les palmiers du palais de Bahia. Les eaux poudreuses de la Menara. Le tajine sur les toits au chant du muezzin. Les vieilles femmes qui cueillent les olives au milieu du quartier de Guéliz. La nonchalance du chauffeur de taxi que nous interrogeons sur l’utilité de ces trous créés dans les murs des remparts : c’est pour les oiseaux, nous soutient-il, avec un geste vague, une lueur de malice dans les yeux. La tête dodelinante du joueur de mandoline croisé dans les souks de la Médina. Le vendeur d’épices qui tente de nous troquer contre un troupeau de chameaux. La poudre de coquelicot qui donne à nos joues et à nos lèvres la couleur de l’été. Sur les toits d’un bar de l’autre côté des remparts, nous buvons du vin gris du Domaine de Sahari, jusqu’à ce que la lumière rouge du soleil couchant s’éteigne dans le ciel. De la Koutoubia, au milieu des palmiers, s’élève le chant mélancolique du muezzin, qui appelle à la dernière prière du soir. Partout autour de nous, les sommets enneigés de l’Atlas nous font frissonner à chaque fois que nous y portons notre regard.
HAD-EL-BRACHOUA, JOUR 3 ET 4
Nous avons roulé à travers l’unique serpentin de bitume qui traverse le Maroc du sud vers le nord. Après les remparts de Marrakech, la route va droit vers l’océan. De la brume et du soleil, des montagnes et des plaines, des troupeaux qui passent au loin, les eaux miroitantes de l’Atlantique, des villes parfois qui dressent leurs murs à l’horizon, la mélodie de leurs noms lointains qui résonnent comme des repères dans le désert, Ben Guerir, Settat, Bouskoura, Casablanca, Mohammédia et, après Rabat, Ain El Aouda, le dernier village avant Had El Brachoua. Des virages dans les montagnes. L’immensité du paysage s’ouvre face à nous comme une porte qui nous accueille. A l’arrivée dans le village, le soleil a disparu derrière le relief. Les maisons déjà se fondent dans la nuit qui vient, bleue et violette, la nuit du Maroc, de froid et de chaleur, de ténèbres et de lumière.
Brachoua. C’est la Harira offerte par nos hôtes sur les sofas en tissu, à la lumière de la bougie. C’est le rire des enfants qui se cachent derrière les rideaux pour nous regarder. C’est le tajine que l’on partage dans un même plat, avec du pain et des sourires. Les mots d’arabe se mêlent au français. Shoukrane Besef, Psaha, Leila Saida. Nous sommes au bout du monde.
Entre la soupe et le tajine, nos hôtes nous emmènent à l’écart du village, dans la forêt d’eucalyptus, à la lumière de la lampe torche. Autour de nous, tout n’est que profondeur. Profondeur d’obscurité et de silence. Nous marchons dans la forêt en écoutant les écorces sèches craquer sous nos pieds. Mohammed rassemble des brindilles pour allumer un feu. Et le feu qui crépite nous reçoit aussitôt dans sa chaleur.
Au cœur de la nuit, ce sont les étoiles à Brachoua. Les étoiles à ne plus savoir où porter son regard. A rêver d’une autre planète, d’un autre désert, où des hommes et des femmes s’endorment au bord des jardins et des vergers qu’ils ont créés eux-mêmes. Et nous nous endormons à l’abri des couvertures chaudes, sur les sofas de la petite maison de Larbi et Bouchra, après avoir soufflé la bougie. Bercés par le bruit du vent, avec l’impression de n’avoir jamais été aussi loin, et connectés pourtant, plus que jamais, au cœur de la terre.
RABAT, JOUR 4 ET 5
Rabat. L’entrée dans la ville se fait dans le soleil couchant, en demandant notre direction, vitre baissée, aux passants sur les trottoirs. Nous traversons la ville serpentine qui nous perd et nous emmène toujours plus loin, à la recherche de l’avenue Mohammed V. Cette avenue qui existe dans toutes les villes du Maroc, comme un lieu unique qui les rassemble, et qui fait correspondre Marrakech et Casablanca, Agadir et Rabat, comme au travers de dimensions parallèles. Rabat, son lever de lune et ses reflets aquatiques seront notre seul souvenir, pour n’avoir vu la ville que la nuit, dans le bonheur nostalgique des derniers instants, à quelques heures du départ.
L’aventure s’arrête là. Et notre Maroc, ce bout du monde que nous avons connu, vécu ensemble, notre Maroc nous semblera toujours encore un peu là. Un battement de cœur, une musique ou une saveur, et nous serons à nouveau transportés dans ce pays qui nous appartient un peu, qui est le nôtre à présent, comme tous ces lieux de voyage auxquels s’attachent les âmes autour de la Terre.