LE VERTIGE
Madère. C'est d'abord le vertige, celui qui nous saisit au bord des falaises, loin au-dessus de l'océan, quand le vent du soir souffle du large et nous fait vaciller, les pieds dans la terre brune, la tête dans les nuages. C'est l'immensité de la distance entre l'eau et le ciel, c'est l'étourdissement du retour à la nature, c'est le rêve de l'île sauvage au milieu de l'Atlantique.
L'ENERGIE
A Madère, l'énergie est partout. Elle gronde dans le flanc de ses montagnes, elle coule dans la sève de ses forêts, elle jaillit des eaux bouillonnantes de l'Atlantique. Elle est dans la couleur de ses piscines volcaniques et dans le chant de ses oiseaux. Energie tonique, sauvage, énergie propre aux îles de notre monde.
LES NUAGES
Les nuages composent Madère autant que la terre et les volcans, ils rendent l'île possible au milieu de l'océan. Car c'est de leur ombre et de leur pluie que naissent les forêts. Car c'est de leur passage que vivent les rêveurs, à Madère, le long des routes serpentines. Esprits traversants, ils flottent un moment devant nous, on s'aventure dans leur mystère, et quand on ferme les yeux, ils sont encore là.
L'OCÉAN
L'océan berce l'île. Il lui communique son énergie vibrante et vive, à elle qui est au loin. De lui surgissent les créatures marines, mystérieuses, insaisissables, ombres blanches devinées sous la surface de l'eau, corps illuminés à la lisière des vagues. Et l'Atlantique impétueux nous berce à notre tour si l'on oublie d'accrocher notre regard aux montagnes éloignées, si l'on s'abandonne à son rythme, le temps de nous laisser happer par l'appel des dauphins danseurs.
LA FORÊT
La forêt de Madère. On y entre comme dans une caverne, par une porte ouverte dans le mur végétal. Il faut déjà trouver cette porte, et la franchir vers la pénombre. S'ouvre alors un univers insoupçonné de fraîcheur et d'humidité. Les lauriers se referment sur nous, ils nous retiennent, prisonniers volontaires d'une forêt qui n'existe que dans cette région du monde, qui n'existe que sur cette île, unique et rêvée. A chaque pas, nous nous rapprochons du coeur de l'île, celui qui palpite dans le ventre de la Terre. Nos esprits s'égarent, comme hypnotisés par l'éternel ballet des ombres, par l'incessant chant des créatures qui font bruisser les feuilles et craquer les branches. A chaque pas, nous nous éloignons un peu plus de chez nous. A chaque pas, nous entendons s'envoler les maux d'un autre monde.
L'OISEAU
Palpitation végétale : là-haut, au-dessus de nos têtes, quelque chose s'est modifié. Une présence, imperceptible, nous observe. C'est l'Oiseau de Madère, celui qui est né ici et qui n'existe qu'ici, l'Oiseau unique de l'île atlantique. Il tient de son espèce le mouvement perpétuel qui fait frémir ses plumes et qui le prépare toujours à l'envol, et pourtant, quelque chose en lui de différent nous maintient immobiles, comme si nous nous étions soudain trouvés en face de l'esprit même de la forêt.
LA BRUME
Comme un serpent de plume, la brume envahie la vallée plusieurs fois par jour et la plonge dans le sommeil de coton des envenimés. Il y a quelque chose d'irréel à marcher dans une forêt de brouillard, où seules se discernent les silhouettes noires des arbres endormis. Ambiance feutrée, protectrice, des forêts natales qui ont toujours été là, à Madère, berceaux de l'Île des bois.
LES FLEURS
Les fleurs à Madère sont partout, à la lisière des forêts de lauriers, sur les flancs des plus hautes falaises, aux fenêtres des maisons, et même en automne, elles ponctuent le monde de leurs couleurs, pointes de rouge dans le brouillard, accent de mauve dans le soleil. Fleurs rares, indigènes, elles sont l'âme de l'île, sa vitalité, sa vibrance.
LE SOMMET
Le long des crêtes et à travers les montagnes. D'un tunnel creusé dans la roche à un chemin étroit bordé d'une végétation luxuriante qui reprend ses droits sur le minéral. Des escaliers sablonneux à n'en plus finir, qui montent très haut vers le ciel avant de redescendre abruptement quelques pas plus loin. C'est la nature qui nous guide, façonnée pour nous conduire au sommet, à ce point qui est au loin, et que nous nous efforçons de rejoindre, le nez au vent, dans ce grand bonheur de l'aventure.
L'AILLEURS
Ile de synthèse, somme des voyages passés et à venir, on reconnaît à Madère un peu de Portugal, bien-sûr, sur son haut plateau aux airs de désert. On y trouve un peu de Maroc lorsque nos pas croisent ceux de chèvres en liberté au crépuscule. Un peu de Vietnam, peut-être, dans les cultures en terrasse qui plongent vers le vide. Un peu d'Haïti dans la silhouette des montagnes noyées dans le brouillard, dans le feuillage des bananiers à perte de vue.
LA LUMIÈRE
La lumière précède la nuit et jamais ne semble lui céder, au sommet de l'île, là où le soleil d'automne persiste, avec force et panache, avec insolence, contre les nuages du soir. La lumière à Madère vient de l'océan et rebondit contre les roches, avec cette douceur unique qui atténue le contour des choses, sombres montagnes découpées sur ciel d'orage, rayons dorés d'un été que l'on imagine éternel.
L'HORIZON
La liberté a le goût salé de l'air océanique et la couleur du sable noir foulé sur les falaises. Au crépuscule, nous nous prenons à rêver de survoler l'île qui a fait de nous des oiseaux. L'horizon éloigné se confond avec les courbes de la Terre. En naviguant droit devant nous, on rencontrerait les Bermudes et puis l'Amérique. Et pourtant, le rêve nous saisit d'aller jusqu'au soleil. Il est encore là et nous invite à le suivre, quelques minutes avant son bain final dans l'océan.
LE SILENCE
Majesté du soleil couchant derrière les montagnes, derrière les nuages, derrière l'océan même, comme si une brèche s'était ouverte, à l'heure du crépuscule, sur un autre monde situé derrière notre monde connu, un monde de lumière exclusivement, un monde de soleil qui perdure quand les ombres et le silence recouvrent la Terre.
LA NUIT
Plus sombre que chez nous, la nuit à Madère emprunte à l'océan le bleu de ses profondeurs. Elle ne s'éclaire pas aux lumières artificielles des villes, elle honore son essence de rêves et d'obscurité et offre à la lune l'écrin de velours du ciel atlantique.
LE RÊVE
A chaque retour de voyage, des rêves continuent à naître la nuit au creux de nos imaginaires, réveillés, fortifiés par cette cure insolite au goût de lointain. Une nouvelle carte existe dorénavant en nous, avec ses paysages rencontrés et découverts, avec ses zones d'ombre et de mystère, et c'est ce monde qui nous parle la nuit, qui communique encore, alors que nous n'y sommes déjà plus, avec notre esprit assoupi. Et c'est bien ce qui est le plus important, c'est bien-sûr ce qu'il nous reste de plus cher, ces incursions oniriques qui prolongent le voyage et l'ancre à jamais en nous, et qui nous donnent envie, finalement, de repartir plus loin, jusqu'à trouver ces lieux où vivent les créatures les plus étranges de ce monde, où se cachent les trésors les plus précieux de ce monde. Nous les chercherons, pirates modernes, pour donner à nos rêves le souffle de la vie éternelle.